[Topic commun #1] LA-BAS

LA BAS

Ils ont décidé, sans se concerter, de pénétrer dans cette enceinte dégageant les relents de charognes. Les disparus se comptent, de plus en plus en nombreux, en croix sur le parchemin des autels figés. La mort n’était qu’une notion abstraite, vide de sens pour ces immortels s’enlaçant dans une débauche oisive avant… avant que cette chose monstrueuse surgisse des ombres du quartier. Ils ne possèdent pas d’armes ni de protection, ils sont habillés normalement, alors que se serrent les poings et roulent les expressions terrorisées masquées maladroitement par la volonté.
Une force jaillit des entrailles, ancestrale, une curiosité et là, sous l’âme, l’impression que, dans le labyrinthe, la question de l’existence trouvera réponse. Là, sous l’esprit, le souvenir s’aiguise, encore flou, encore terne, encore évanescent.
Ils ont la certitude que, s’ils traversent, quittent le quartier alors… Alors ils découvriront.
Car, depuis trois mois, avec l’émergence de ce lieu, sautillent les rêves mémoires, ces moments qu’ils ont oubliés et qu’ils espèrent se souvenir.
Ils ont la motivation des braves à combattre. L’impulsion des guerriers.

Elle n’était pas curieuse. Sage fillette aux boucles de blé, sur son front vierge d’impuretés, elle se dressait devant la glace, lisse, immaculée, un miroir reflétant ce corps déchu, affamé. Le quartier se mourait, dans une lueur argentine, les maisons s’éteignaient, doucement, comme une déchéance significative. L’auberge, malade, toussait sa tristesse, les murs suintaient de détresse.
Mais pourquoi se demande encore Wendy, une veste accrochée sur ses épaules frêles, ses branches de noyer en guise de bras, des ballerines complétaient sa tenue d’hiver. Elle avait ouï les rumeurs, des marivaudages sur les lippes de ces habitants éternels, des témoignages, du faux, du vrai, mélangé dans un chaudron aux vertèbres malsaines. Ils s’approchaient tous du labyrinthe, un amas enchevêtré de silhouettes, fuyant au bout de quelques heures le funeste présage. Quelques-uns savaient, les ambres se dressaient, folles, ardentes, moqueuses, méprisantes pour ces ignorants. Wendy observait, ce visage surtout, le vagabond boiteux qui, telle une apparition désagréable, lui avait tendu un bouquet de muguet. Elle y avait entraperçu un message voilé, fait de sourire d’intelligence indicible. Cet homme savait, le regard enflammé.
Et les rêves. Ces images hypnagogiques, douées d’une vicieuse envie de faire souffrir. Evanescentes, elles s’enfuyaient, dès lors que la jeune femme tentait de les emprisonner pour les comprendre. Un visage en flou photographique se dévoilait pour se couvrir d’une autre série en noir et blanc. Elle se réveille dans les bras d’une transpiration incandescente d’un désir de se souvenir. Toujours, les voix en chœur chantent depuis le lieu nouveau. Labyrinthe secret.
Elle lui fait face, guerrière délicate. Pour arme, elle n’a pris qu’un carnet usé, déchiqueté, la couverture de cuir striée. Un crayon dans un sac léger de toile de jute. Ses cheveux redressés pour laisser l’air frais sur sa nuque enchanteresse. Elle ne craint pas les dangers qu’il pourrait révéler, effrayées par ces autres qui, comme elle, partent en quête de réponses enfermées dans une boite de Pandore.